On ne présente plus ce très grand écrivain, auteur de plusieurs livres dont « Léon l’Africain », « Samarcande » ou « Le rocher de Tanios » qui a obtenu le prix Goncourt en 1993. « Le dérèglement du monde » s’inscrit plutôt dans la lignée de son essai « Les identités meurtrières », publié en 1998. Il en est même un peu la suite.
Dans cet essai, l'auteur avance la thèse suivante : le dérèglement du monde tient moins à la guerre des civilisations qu'à l'épuisement simultané des civilisations car l'humanité a atteint son seuil d'incompétence morale : l'Occident infidèle aux valeurs de démocratie et tenté de garder une supériorité militaire pour pallier les insuffisances de son économie ou de son autorité morale ; l'Orient, n'ayant plus de légitimité patriotique, se retrouve condamné à une fuite en avant radicaliste.
Dans ces pages, Amin Maalouf nous éclaire, il nous permet de bien comprendre les relations entre l'occident et le monde arabo-musulman. Ainsi, une partie du livre est consacrée à l'analyse de l'histoire du monde arabe depuis la création d'Israël, mais ce pan historique est vu sous un angle très particulier : celui de la perception de la légitimité du pouvoir et, dès lors, nous comprenons parfaitement les racines de l'islamisme qui est une recherche de dignité, en réaction aux échecs successifs des dirigeants arabes.
En fait, la vision globale du monde musulman est décrite tellement clairement par l'auteur que cela nous permet de parfaitement comprendre la situation de tension qui existe dans ce monde arabe et dont on parle tous les jours dans les médias. Cela n'est possible que parce que Maalouf est un intellectuel à cheval sur les cultures occidentale et musulmane et qu'il connaît très bien les nombreuses fractures nées de la rencontre explosive de ces deux entités.
Si les idées contenues de cet essai ne sont pas des plus faciles à faire passer, cela se fait sans mal grâce à la qualité de l'écriture de Maalouf, à son style impeccable en clarté. De plus, il n'essaie pas de nous convaincre à tout prix : il nous dit les choses sans dogmatisme, avec nuances. On prend ou on laisse car on comprend de suite que c'est un point de vue, le sien, et que d'autres pourraient penser autrement. Malgré tout, il montre avec une telle pertinence l'impact de la chute du communisme sur le capitalisme et l'implication pour l'islam, avec une telle recherche historique et des faits, qu'on a vraiment l'impression qu'il a raison...
Le dérèglement du monde de Amin Maalouf
Lieu:
Le Livre de POche, Colection Littérature et Documents, 320 pages, novembre 2010, 6,50€
