Aux Editions du Cerisier vient de paraître ce roman de Giovanni Lentini, dans la collection « Faits et Gestes » qui, il y a un quart de siècle exactement, avait été inaugurée par un roman presque mythique pour l'immigration italienne en Belgique : « Rue des Italiens » de Girolamo Santocono. Ce n'est certes pas un hasard, non pas parce que les protagonistes des deux romans sont des Italiens vivant en Belgique, mais surtout à cause de la philosophie de cette collection dont les auteurs « affrontent la société, questionnent l’état du monde ». Et un quart de siècle après, le monde de l'un n'est plus celui de l'autre et s'il fallait relire le roman de Santocono, ce serait pour mesurer l'écart qui existe entre ces Italiens-là et ceux d'aujourd'hui , notamment entre la façon d'harmoniser les deux cultures, belge et italienne. C'est ce thème qui traverse de part en part le roman de Lentini, thème qui est tout entier contenu dans le titre puisque Francesco et François sont deux prénoms qui désignent un seul personnage. Un seul personnage, deux prénoms et deux cultures...
François est un brillant avocat, né à Seraing, banlieue de Liège vouée à la sidérurgie. Issu d’un milieu ouvrier d’origine italienne, ses études et son mariage l'ont propulsé dans les sphères de la haute bourgeoisie bruxelloise. Il n’est plus revenu à Seraing, depuis quinze ans, depuis la dispute avec son père qui est aujourd’hui gravement malade. François décide de le revoir et il lui téléphone, un coup de fil très bref qui en dit déjà beaucoup. Il décide donc de se rendre à Seraing le lendemain matin.
Le tout début du roman commence lorsque François arrive à Seraing et, avant de rencontrer son père et de lui parler, il ressent le besoin de s'immerger dans Seraing, d'y respirer non pas l'air pollué d'antan mais, comme il dit, de « marcher sur les traces de mon enfance », car il a « besoin de temps ». Le temps de faire quoi ? Il ne le sait pas encore et il commence alors son « road-movie » dans la ville, un « road-movie » de quelques centaines de mètres certes, mais combien révélateur pour lui en fin de parcours...
François va donc commencer son errance maîtrisée (il a toujours tout maîtrise dans sa vie) par un café, le Leonardo da Vinci, un local communiste très fréquenté par son père et les rencontres vont alors se suivre en l'espace de quelques heures : le cafetier du Leonardo da Vinci, sa fille Teresa qui fut son premier amour, un ancien professeur, le coiffeur Gino, son frère, le voisin et enfin sa famille, son père.
Ce qui est très intéressant dans ce roman, au point de vue formel, outre une écriture limpide, nette, concise, presque allusive parfois, c'est la construction du roman : on rencontre les gens et chacun d'entre eux permet une plongée vers le passé, vers ce qui s'est passé avant ce retour à Seraing. En fait, le roman se présente un peu comme la construction d'un puzzle dont on n'aurait que les pièces principales qui nous permettraient d'entrevoir de quelle image il s'agit et nous laisserait deviner le vide laissé par les pièces manquantes.
L'autre aspect très intéressant du roman, c'est le thème principal qui traverse ce roman, celui de l’ascension sociale, de l'intégration et du problème qui pourrait se poser pour un fils d'immigré quand réussir socialement signifie aussi abandonner ses racines, couper les ponts avec sa famille. C'est ce qui s'est passé pour François. A-t-il bien fait ? Des regrets ? Des remords ? L'auteur ne répond pas vraiment à ces questions et à celle qui est posée en filigrane dans le titre : est-on plus intégré quand on change son prénom Francesco en François ?
Mais d'autres questions, d'autres thèmes, sociaux et politiques, sont présents dans ce texte. Les réponses sont suggérées, jamais assénées car Giovanni Lentini a pris le parti d'écrire un roman, pas un pamphlet, pas un essai. C'est sans doute ce qui fait la force de son roman où les moments d’émotion sont nombreux, parfois à peine perceptibles car c'est au lecteur de faire le pas, de lire entre les lignes. D'autres fois, ces moments de pure émotion sont symboliques, comme cette dernière cène autour du père, ce repas typiquement italien permettant à François de découvrir tout le Francesco qui est encore en lui.
Un très beau roman, tourné vers le passé tout en étant en prise directe avec les problèmes d'aujourd'hui. A lire sans tarder!